CGV – CGU

Chapitre II – Le foncier dans l’exploitation

Partie I – Du patrimoine agricole à l’exploitation sylvicole
Titre 1 – Du patrimoine à l’exploitation agricole
Sous-titre 1 – Le patrimoine agricole
Chapitre II – Le foncier dans l’exploitation

4077 Longtemps affecté au patrimoine privé, le foncier trouve désormais sa place tant dans l’entreprise individuelle (Section I) que sociétaire (Section II).

Section I – Le foncier dans l’entreprise individuelle

4078 Les immeubles affectés à l’exploitation sont obligatoirement inscrits à l’actif du bilan de l’entreprise individuelle (CGI, ann. III, art. 38 sexdecies D). Ce principe souffre une exception : les terres peuvent être conservées dans le patrimoine privé de l’exploitant sur option. Cette exception conduit à comparer les conséquences entre l’inscription des terres au bilan (Sous-section I) et leur maintien dans le patrimoine privé (Sous-section II). L’obligation d’inscription au bilan ne connaît en revanche aucune dérogation pour les bâtiments et plantations (Sous-section III).

Sous-section I – L’inscription des terres au bilan

4079 L’exploitant individuel ayant fait le choix d’inscrire les terres au bilan de son exploitation relève du régime des plus-values professionnelles. Pour les terres, non amortissables par nature, le régime des plus-values professionnelles est plus avantageux que celui des plus-values privées. En effet, plusieurs régimes d’exonération coexistent. L’article 151 septies instaure un régime d’exonération en fonction des recettes (§ I). L’article 151 septies B instaure un régime d’exonération des plus-values professionnelles à long terme en fonction de la durée de détention (§ II). Ces deux articles prévoient désormais une exclusion pour les terrains à bâtir (§ III).

§ I – Le régime d’exonération des plus-values professionnelles de l’article 151 septies du Code général des impôts

4080 – Économie générale du régime. – L’article 151 septies du Code général des impôts est un régime général128applicable aux activités agricoles, mais également aux activités commerciales, industrielles, artisanales et libérales129.

Les plus-values sont exonérées à la triple condition :

qu’elles soient réalisées dans le cadre d’une activité professionnelle exercée depuis au moins cinq ans ;

que le chiffre d’affaires moyen réalisé au titre des exercices clos au cours des deux années civiles précédant la cession n’excède pas 250 000 € ;

que les terres cédées n’aient pas la nature d’un terrain à bâtir.

4081 – La durée de l’activité. – Les plus-values sont exonérées à condition que l’activité ait été exercée pendant au moins cinq ans130. À défaut, les plus-values sont taxables même si les recettes sont inférieures au seuil de 250 000 €. Le point de départ du délai quinquennal est le début de l’activité. En pratique, il s’agit de la date de création ou d’acquisition de l’exploitation. Le terme du délai correspond à la clôture de l’exercice au titre duquel la plus-value est réalisée. Néanmoins, en cas de cession ou de cessation de l’entreprise, la date de cession ou de cessation est retenue131. La cession d’un élément d’actif réalisée moins de cinq ans après le début de l’activité est exonérée lorsque la clôture de l’exercice comptable intervient plus de cinq ans après le début de l’exploitation.

4082 – Le cas particulier de la reprise de l’activité par le conjoint. – Il est fréquent que le conjoint succède à son époux à la tête de l’exploitation, notamment en cas de départ à la retraite. Il convient de déterminer comment se décompte le délai de cinq ans pour le conjoint repreneur. Cette question revêt une importance particulière, la reprise par le conjoint étant souvent de courte durée. Il s’agit en effet de permettre au conjoint repreneur d’atteindre l’âge suffisant pour faire valoir à son tour ses droits à la retraite. En pratique, il convient de distinguer la reprise suite au départ à la retraite de la reprise suite au décès.

4083 – La reprise suite au départ à la retraite du conjoint. – La doctrine administrative considère que l’exploitant agricole et son conjoint sont liés par une étroite communauté d’intérêt. À ce titre, il existe en général une exploitation unique pour l’appréciation des différents régimes d’imposition.

Au plan fiscal, le conjoint est considéré coexploitant s’il remplit l’une des conditions suivantes :

il est propriétaire des terres affectées à l’exploitation ;

ou il participe à la mise en valeur de l’exploitation appartenant en propre à son conjoint.

Une exploitation est distincte uniquement si un époux exploite des terres lui appartenant à titre de biens propres et si son conjoint ne participe en aucune manière à la mise en valeur de l’exploitation. Pour des époux mariés sous un régime communautaire, la notion d’exploitation unique s’impose si les terres dépendent de la communauté. Fiscalement, le conjoint bénéficie du statut de coexploitant même s’il ne participe pas de façon effective à l’exploitation. Il suffit que la communauté soit propriétaire des biens exploités. Le point de départ du délai de cinq ans est le début d’activité du premier époux132. Ainsi, le conjoint reprenant l’exploitation suite au départ à la retraite de son époux poursuit l’activité. Il n’est pas assimilé à un nouvel exploitant en matière de plus-values.

4084 – La reprise suite au décès du conjoint. – La situation est différente en cas de décès de l’exploitant. Le décès entraîne en effet une cessation d’activité. Les bénéfices réalisés et les plus-values latentes au jour du décès sont en principe imposés133. Il en résulte que le délai de cinq ans est décompté à partir du jour de la reprise par le conjoint survivant.

4085 – L’appréciation du montant des recettes. – Le seuil d’exonération s’apprécie en fonction de la moyenne des recettes encaissées au cours des deux années civiles précédant l’exercice de réalisation de la plus-value. L’exonération est totale jusqu’à 250 000 € HT. Elle est dégressive de 250 000 € à 350 000 € HT134.

Appréciation du seuil de l’article 151 septies du Code général des impôts

Apolline produit des roses de Damas à Grasse. Elle a réalisé une plus-value nette de 15 000 € le 1er septembre 2017. La moyenne de ses recettes 2015-2016 et 2016-2017 s’élève à 285 000 €. Le seuil de 250 000 € étant dépassé, la plus-value est taxable. Cependant, la limite de 350 000 € n’étant pas atteinte, cette plus-value n’est que partiellement imposée. La plus-value taxable se calcule ainsi : 15 000 × (285 000 – 250 000) / (350 000 – 250 000) = 5 250 €.

§ II – Le régime d’exonération de l’article 151 septies B du Code général des impôts

4086 – Économie générale du régime. – Le régime d’exonération de l’article 151 septies B du Code général des impôts institue un abattement pour durée de détention sur les plus-values immobilières professionnelles à long terme. Cet abattement est de 10 % par an au-delà de la cinquième année. Ainsi, la plus-value est totalement exonérée au terme de quinze années de détention, à condition que le terrain vendu soit affecté à l’exploitation et inscrit au bilan. Ce dispositif s’inspire du régime des plus-values immobilières des particuliers. Cependant, contrairement à ce dernier ayant fait l’objet d’une profonde réforme applicable depuis le 1er février 2012, les dispositions codifiées de l’article 151 septies B n’ont pas été modifiées. Ainsi, ce régime est aujourd’hui plus intéressant que le régime des plus-values immobilières des particuliers.

Le régime de l’article 151 septies B du Code général des impôts

Apolline cède un hectare de terres le 1er mai 2018 moyennant le prix de 10 000 €. Ces terres ont été acquises 5 000 € le 1er mai 2006. La plus-value est de : 10 000 – 5 000 = 5 000 €. Le bien étant détenu depuis plus de deux ans, la plus-value est à long terme. Elle bénéficie de l’article 151 septies B. La durée de détention est de douze ans. L’abattement est = (12 – 5) × 10 % = 70 %. Le montant de l’abattement est de 5 000 × 70 % = 3 500 €. Soit une plus-value taxable = 5 000 – 3 500 = 1 500 €.

§ III – Le cas particulier des terrains à bâtir

4087 Devant la pression foncière, de nombreux agriculteurs saisissent l’opportunité de vendre leurs terres en terrain à bâtir lorsque les documents d’urbanisme le permettent. Les cessions de terrains à bâtir soumises à la TVA immobilière étant expressément exclues du bénéfice des articles 151 septies et 151 septies B, il convient de définir la notion de terrain à bâtir au regard de ces deux articles.

4088 – La notion de terrain à bâtir depuis la réforme de la TVA immobilière. – Depuis la réforme de la TVA immobilière, les livraisons de biens, meubles ou immeubles, effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA135. L’assujettissement à la TVA d’un terrain à bâtir ne s’apprécie plus en fonction de la qualité du cessionnaire, mais du cédant. Les exploitants agricoles vendant un terrain à bâtir sont-ils considérés comme des assujettis agissant en tant que tels136 ? L’administration fiscale a répondu à cette question dans une réponse ministérielle du 4 novembre 2010137. La cession d’un terrain affecté à l’exploitation, devenu constructible en raison d’une modification des règles d’urbanisme, est considérée comme réalisée dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de l’agriculteur. À ce titre, elle n’est pas assujettie à la TVA. Cette solution s’applique également lorsque l’exploitant a conservé le terrain dans son patrimoine privé. En revanche, les cessions de terrains à bâtir par un agriculteur ayant réalisé des travaux de viabilisation et mis en œuvre des moyens de commercialisation avérés, entrent de plein droit dans le champ d’application de la TVA, au même titre que les cessions de terrains à bâtir spécifiquement acquis en vue de leur revente138.

4089 – La notion de terrain à bâtir au regard des articles 151 septies et 151 septies B. – La notion de terrain à bâtir s’apprécie dans les mêmes termes pour les deux articles. Ils renvoient à l’article 1594-0 G du Code général des impôts. Cet article a été modifié suite à la réforme de la TVA immobilière139. Il vise désormais les acquéreurs assujettis à la TVA prenant l’engagement d’effectuer des travaux conduisant à la production d’un immeuble neuf dans un délai de quatre ans140. Autrement dit, la réforme de la TVA immobilière n’a pas modifié en profondeur l’exonération visée aux articles 151 septies et 151 septies B141. En effet, c’est la qualité du cessionnaire et non celle du cédant qui est toujours prise en compte. Il importe peu que l’agriculteur ait ou non la qualité d’assujetti.

Ainsi, dans le cadre de la vente d’un terrain à bâtir inscrit au bilan, l’agriculteur est susceptible de bénéficier de l’exonération de l’article 151 septies si l’acquéreur du terrain à bâtir n’est pas un assujetti à la TVA prenant l’engagement de construire. Les conditions relatives à la durée de l’activité et au seuil des recettes doivent par ailleurs être remplies.

En revanche, pour bénéficier de l’abattement de l’article 151 septies B, il suffit que l’acquéreur ne soit pas un assujetti prenant l’engagement de construire, pourvu que le terrain vendu soit affecté à l’exploitation et inscrit au bilan.

Choix de l’inscription des terres : cas particulier du terrain à bâtir

1) Pierre est installé dans les Alpes-de-Haute-Provence. En 2008, il achète dix hectares de lavandin au prix de 2 500 € l’hectare. Le 1er janvier 2016, lors de son passage au réel, il fait le choix de maintenir les terres dans son patrimoine professionnel et déclare une valeur vénale de 5 000 € l’hectare, permettant une exonération de la plus-value latente acquise sous le régime du forfait. Une parcelle de 2 000 m² devient constructible en 2018. Il trouve un acquéreur au prix de 80 €/m², soit 160 000 €. L’acquéreur est un particulier souhaitant construire son habitation. Pierre exerce son activité depuis plus de cinq ans et la moyenne des recettes HT des deux années civiles précédant la cession est inférieure à 250 000 €. Au bilan, la parcelle vendue a une valeur de 2 000 m² × 0,50 €/m² = 1 000 €. La plus-value est de 160 000 – 1 000 = 159 000 €. Pierre est néanmoins exonéré de plus-values professionnelles en application de l’article 151 septies du Code général des impôts.

2) Les données sont les mêmes que dans l’exemple précédent, mais le montant des recettes HT moyennes de Pierre est supérieur à 350 000 €. Il ne bénéficie pas de l’exonération de l’article 151 septies. En revanche, les dispositions de l’article 151 septies B sont applicables. Les terres achetées en 2008 sont détenues depuis dix ans au moment de la cession. Comme dans l’exemple précédent, l’acquéreur est un particulier souhaitant construire son habitation. La plus-value professionnelle bénéficie d’un abattement de 50 % (10 % par an au-delà de la cinquième). Elle est de 79 500 € (50 % de 159 000 €). La plus-value à long terme est soumise au taux de 30 % (12,8 % pour l’impôt de plus-value et 17,20 % pour les prélèvements sociaux)142, soit 23 850 €.

3) Dans les deux exemples précédents, si la vente est consentie à un assujetti prenant l’engagement de construire, la plus-value professionnelle ne bénéficie d’aucune exonération. La plus-value à long terme est soumise au taux de 30 %, soit 47 700 €.

4) Si Pierre, lors de l’acquisition, affecte les terres dans son patrimoine privé, il est soumis au régime des plus-values immobilières des particuliers. La plus-value est égale à la différence entre le prix de vente et le prix d’achat augmenté des frais d’acquisition : 160 000 – (1 000 + 75) = 158 925 €. Après dix années, l’abattement pour durée de détention est de 30 % pour l’impôt de plus-value et de 8,25 % pour les prélèvements sociaux. L’impôt à payer est de 43 738 €.

5) Si Pierre choisit de retirer les terres de son patrimoine professionnel avant la vente, il peut bénéficier d’une exonération totale sur le fondement de l’article 151 septies ou partielle sur le fondement de l’article 151 septies B. En effet, le retrait n’est pas assimilé à une cession de terrain à bâtir. La vente du terrain à bâtir après retour des terres dans le patrimoine privé relève des plus-values des particuliers. Elle est égale à la différence entre le prix de vente et la valeur vénale des terres lors de leur retour dans le patrimoine privé. Dans le patrimoine privé de Pierre, la parcelle a une valeur de 160 000 €. Si Pierre vend cette parcelle en 2018 moyennant le prix de 165 000 €, la plus-value sera de : 165 000 – 160 000 = 5 000 €, soumise au taux de 36,20 %, soit 1 810 €. Cependant, un court laps de temps entre le retrait et la vente du terrain est susceptible de donner lieu à un redressement fiscal au titre de l’abus de droit.

4090 – Un manque de cohérence. – Ce système fiscal manque de cohérence. L’objectif initial du législateur était pourtant simple. Il s’agissait de taxer les plus-values professionnelles et les plus-values immobilières des particuliers sur un plan d’égalité. Or, les articles 151 septies et 151 septies B instaurent des systèmes plus favorables que les plus-values immobilières des particuliers143. Par ailleurs, le renvoi à l’article 1594-0 G est inapproprié. Le renvoi à la notion plus objective donnée par l’article 257, I, 2, 1° du Code général des impôts serait plus judicieux : sont considérés comme terrains à bâtir « les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu (…) ». Il permettrait en effet d’aligner les différents régimes de plus-values immobilières et, corrélativement, de ne pas tirer des profits excessifs de l’artificialisation des terres agricoles.

4091 – Les autres avantages de l’inscription des terres au bilan. – Les avantages résultant de l’inscription des terres au bilan ne se limitent pas aux outils permettant d’alléger l’impôt de plus-value. La taxe communale forfaitaire sur les cessions à titre onéreux de terrains devenus constructibles ne s’applique pas aux terres inscrites au bilan (CGI, art. 1529). Enfin, l’inscription au bilan permet de déduire les charges afférentes aux terres telles que les frais d’entretien, les intérêts d’emprunt et les frais d’acquisition. Les déductions restent cependant limitées, l’administration fiscale n’admettant pas l’amortissement des terres.

Sous-section II – L’option pour le maintien dans le patrimoine privé

4092 L’affectation des terres dans le patrimoine professionnel est présumée, à défaut d’option pour le maintien dans le patrimoine privé. Cette option, n’existant qu’au réel, obéit à certaines modalités (§ I). Les terres connaissent parfois différentes périodes successives, professionnelles et non professionnelles. La théorie des biens migrants régit ces situations (§ II). Enfin, le choix de conserver les terres dans le patrimoine privé de l’exploitant présente des attraits en matière de charges sociales par le recours au bail à soi-même (§ III).

§ I – Les modalités de l’option

4093 – L’option doit être expresse. – L’exploitant peut opter pour le maintien des terres dans son patrimoine privé. La non-inscription des terres au bilan ne présume pas l’exercice de l’option pour le maintien des terres dans le patrimoine privé. En effet, le seul fait pour un exploitant de s’abstenir de faire figurer les terres à son bilan ne peut en aucune façon être assimilé à l’exercice de l’option144. Au surplus, le défaut de comptabilisation du foncier à l’actif constitue pour l’administration une simple erreur comptable, rectifiable à tout moment145.

4094 – Durée et portée de l’option. – La durée de l’option est d’un an. Elle est reconduite tacitement pour l’exercice suivant, sauf renonciation expresse de l’exploitant146. Par ailleurs, l’option s’applique à la totalité des terres dont l’exploitant est propriétaire. L’exploitant ne peut pas inscrire seulement les terres pour lesquelles l’option présenterait des avantages, par exemple les terres acquises à titre onéreux donnant lieu à des charges financières.

4095 – La notion de biens affectés à l’exploitation appréciée différemment pour le micro-BA et pour l’EIRL. – Sous l’ancien régime du forfait, supprimé depuis le 1er janvier 2016, les exploitants étaient dispensés d’établir un bilan147. L’administration présumait que tous les biens affectés à l’exploitation étaient dans le patrimoine professionnel. Ainsi, la vente de terres au forfait relevait toujours des plus-values professionnelles. Le choix de l’inscription se posait en revanche lors du passage du forfait au réel. Depuis le 1er janvier 2016, le régime du micro-BA remplace le régime du forfait, sans pour autant astreindre les exploitants à la tenue d’une réelle comptabilité, hormis la tenue d’un livre de recettes148. À l’instar de l’ancien régime du forfait, les terres sont toujours présumées affectées à l’exploitation. Il est regrettable que la réforme du forfait n’ait pas amendé ce système en permettant à l’exploitant au micro-BA de choisir d’inscrire ou non ses terres au bilan. D’autant que l’agriculteur exploitant dans le cadre d’une entreprise individuelle à responsabilité limitée a la faculté de conserver ses terres dans son patrimoine privé, malgré le principe du patrimoine d’affectation : « Ce patrimoine est composé de l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle » (C. com., art. L. 526-6)149.

§ II – Les conséquences d’options successives : les biens migrants

4096 – La notion de biens migrants. – Un terrain peut faire l’objet de différentes périodes professionnelles et non professionnelles, selon les options successives. De tels biens sont qualifiés de biens migrants. Le transfert d’un terrain du patrimoine privé au patrimoine professionnel n’engendre aucune plus-value immédiate. Seule la vente déclenche l’imposition des plus-values privées. La vente d’un terrain, d’abord affecté dans le patrimoine privé et inscrit ensuite au bilan, peut faire naître deux plus-values :

la première correspond à la plus-value acquise par ce bien durant la période de détention dans le patrimoine privé du contribuable. Cette plus-value est imposable selon le régime des plus-values des particuliers150 ;

la seconde correspond à la plus-value acquise par le bien depuis la date d’inscription au bilan jusqu’à la date de la cession ou du retrait, selon le cas. Cette plus-value est soumise aux dispositions relatives aux plus-values professionnelles.

Toutefois, la plus-value correspondant à la période de détention dans le patrimoine privé est exonérée si elle satisfait aux conditions de l’article 151 sexies du Code général des impôts :

l’activité doit être exercée depuis au moins cinq ans à titre principal ;

et le terrain ne doit pas avoir la nature de terrain à bâtir au sens de l’article 257, I, 2, 1° du Code général des impôts151.

Plus-value et bien migrant

1) Jean-Marcel est producteur céréalier dans le Jura. Il a acheté cinquante hectares de terres en 2007 pour un prix de 2 500 € l’hectare, soit 125 000 €. Il opte pour la non-inscription des terres au bilan. En 2017, il achète trente hectares supplémentaires pour un prix de 4 000 € l’hectare, soit 120 000 €. Afin de déduire les frais d’acquisition et les intérêts d’emprunt, il renonce alors à son option et inscrit les terres au bilan. Les terres achetées en 2007 sont comptabilisées pour leur valeur vénale à la date d’inscription, soit 4 000 € l’hectare. En 2018, Jean-Marcel vend deux hectares de terres provenant de son achat en 2007 pour un prix de 30 000 €.

La vente fait naître deux plus-values :

une plus-value privée pour la période de l’acquisition à l’inscription à l’actif, égale à la différence entre la valeur d’inscription à l’actif et le prix d’achat : 8 000 – 5 000 = 3 000 €. Lors de l’inscription des terres au bilan, les conditions de l’article 151 sexies du Code général des impôts étant réunies, la plus-value privée est exonérée ;

une plus-value professionnelle pour la période d’inscription au bilan, égale à la différence entre le prix de vente et la valeur d’inscription à l’actif : 30 000 – 8 000 = 22 000 €. Cette plus-value à court terme est ajoutée au résultat de l’exercice.

2) Les données sont les mêmes que dans l’exemple précédent, mais les deux hectares vendus sont en zone constructible lors de leur inscription. La valeur d’inscription de ces terres au bilan est de 30 000 €. Le prix de vente en 2018 est de 35 000 €.

La vente fait naître deux plus-values :

une plus-value privée : 30 000 – 5 000 = 25 000 €. Les conditions de l’article 151 sexies n’étant pas remplies, l’abattement pour durée de détention est calculé de 2007 à 2017. Après dix années, l’abattement pour durée de détention est de 30 % pour l’impôt de plus-value et de 8,25 % pour les prélèvements sociaux. L’impôt à payer est de 7 270 € ;

une plus-value professionnelle : 35 000 – 30 000 = 5 000 €. Cette plus-value à court terme est ajoutée au résultat de l’exercice.

La vente d’un terrain figurant dans un premier temps dans le patrimoine privé, puis inscrit au bilan, puis affecté à nouveau dans le patrimoine privé, est susceptible de faire naître trois plus-values152. Le fait générateur de la plus-value professionnelle est le retrait d’actif. La vente après le retour dans le patrimoine privé fait naître deux plus-values privées. Pour le calcul de l’abattement pour durée de détention, les deux plus-values privées sont prises en compte ensemble. L’exonération prévue par l’article 151 sexies du Code général des impôts ne s’applique pas dans cette situation (CGI, ann. II, art. 74 SG, III). En effet, pour bénéficier de cet avantage, la terre doit être inscrite au bilan au moment de la cession.

§ III – Les motivations de l’option

4097 – Une neutralité au regard de la loi « Dutreil ». – La structuration du foncier pour l’exploitant individuel se pose également en terme de transmission à titre gratuit. Sous forme sociétaire, l’inscription du foncier au bilan est nécessaire pour bénéficier du régime de faveur. Pour les entreprises individuelles, la notion d’immeubles affectés à l’exploitation est utilisée. La doctrine administrative précise que pour bénéficier de l’exonération de 75 %, les biens transmis doivent être nécessaires à l’exercice de la profession, indépendamment de leur présence à l’actif du bilan de l’entreprise153. Par conséquent, les terres non inscrites au bilan mais nécessaires à l’exploitation bénéficient du régime de faveur. À l’inverse, les immeubles inscrits au bilan mais non nécessaires à l’exercice de la profession n’en bénéficient pas. La doctrine administrative étend ce régime de faveur aux sociétés à associé unique. Les terres et les bâtiments non apportés au bilan de la société agricole unipersonnelle mais affectés à l’exploitation bénéficient de l’exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit lorsque les dispositions relatives à l’engagement réputé acquis ne leur sont pas applicables. En revanche, elles sont soumises aux dispositions applicables aux sociétés lorsque les conditions relatives à l’engagement réputé acquis sont remplies154.

4098 – Les stratégies de réduction des cotisations MSA. – L’exploitant choisissant de conserver les terres dans son patrimoine privé peut se consentir un bail à lui-même. En agriculture, la question du bail à soi-même est étroitement liée aux cotisations sociales. Or, celles-ci sont calculées en fonction du revenu fiscal agricole. Différents procédés permettent de réduire le coût de la protection sociale. Ils consistent tous à réduire l’assiette servant de base aux cotisations sociales et, plus précisément, à transformer des bénéfices agricoles en revenus fonciers. Il est ainsi conseillé de ne pas inscrire les terres au bilan de l’exploitation et de les apporter à une structure sociétaire. Ainsi, les fermages versés par l’exploitant à la société foncière sont déduits du bénéfice agricole155. Le revenu professionnel ainsi « transformé » en revenus fonciers échappe aux cotisations MSA. D’un point de vue fiscal, ce montage ne présente pas d’intérêt, le bénéfice agricole étant compensé par des revenus fonciers. Par ailleurs, si l’opération permet de déduire les intérêts d’emprunt et la taxe foncière des revenus fonciers, l’inscription des terres au bilan permet au surplus de déduire les frais d’acquisition.

4099 – La rente du sol. – La rente du sol est un système permettant aux exploitants agricoles individuels de bénéficier d’une réduction des revenus professionnels servant au calcul de leurs cotisations sociales. Concrètement, ce mécanisme permet de déduire de l’assiette des cotisations sociales une somme correspondant au revenu cadastral des terres dont l’exploitant est propriétaire. Or, le revenu cadastral n’a pas été revalorisé depuis 1970. Il existe ainsi une disparité importante entre l’exploitant propriétaire et l’exploitant locataire. Le renouvellement de la base de calcul de la rente, proposé par un rapport parlementaire, permettrait de rendre ce système plus attractif156. La rente ne serait alors plus basée sur le revenu cadastral, mais sur le barème des locations de terres agricoles résultant du statut du fermage. Cette proposition mérite approbation. Néanmoins, depuis quelques années, la rente du sol n’est plus le seul mécanisme de déduction.

4100 – La reconnaissance tardive du bail à soi-même. – Le loyer fictif existant dans le régime des BIC et des BNC est admis en agriculture depuis un arrêt du Conseil d’État du 26 septembre 2011157. Au plan juridique, l’entrepreneur individuel n’a qu’un seul patrimoine. Au plan fiscal, les patrimoines privé et professionnel coexistent. L’exploitant individuel ayant conservé les immeubles dans son patrimoine privé a la possibilité de déduire un loyer de son revenu professionnel. L’intérêt de ce mécanisme est la réduction de l’assiette du résultat soumis à cotisations sociales. Il n’est plus nécessaire de passer par la création d’une société pour déduire un fermage des revenus professionnels158. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a introduit un dispositif anti-abus, limitant les effets de la déduction de la location à soi-même. Les assujettis ont la faculté de déduire de l’assiette de leurs cotisations une rente du sol ou un loyer fictif. L’exploitant, tenté de cumuler les deux régimes, doit majorer le bénéfice agricole des loyers déduits.

4101

Le traitement des plus-values et des terres dans les autres pays européens

Dans tous les pays européens, les plus-values professionnelles s’ajoutent aux revenus d’exploitation et sont soumises au taux progressif de l’impôt sur le revenu ou à l’IS. Seule la France distingue les plus-values à court terme et les plus-values à long terme.

Au Danemark, les terres constituent toujours un actif professionnel et sont obligatoirement inscrites au bilan de l’exploitation, contrairement à la France où elles peuvent être conservées dans le patrimoine privé. Aux Pays-Bas, les terres sont inscrites au bilan. La plus-value sur les terres n’est taxée que si elle est liée à une spéculation, c’est-à-dire résultant d’un achat au prix normal du marché dans une perspective de revente rapide suite à un changement de destination.

Aucun pays européen n’admet en revanche l’amortissement des terres.

Sous-section III – L’inscription des bâtiments et plantations

4102 L’inscription au bilan des bâtiments et des plantations affectés à l’exploitation est obligatoire (§ I). Elle engendre un amortissement (§ II).

§ I – L’obligation d’inscrire au bilan les bâtiments et les plantations affectés à l’exploitation

4103 – L’inscription obligatoire des bâtiments et des plantations. – Les agriculteurs conservant leurs terres dans leur patrimoine privé sont néanmoins tenus d’inscrire les constructions et plantations faites sur ces terres parmi les éléments de l’actif immobilisé amortissable.

Cette obligation concerne :

les bâtiments d’exploitation ;

les plantations ;

et les améliorations foncières temporaires.

En présence d’une vente de terres supportant des bâtiments ou des plantations, il convient d’abord de déterminer si les terres sont inscrites ou non au bilan. Si les terres sont inscrites au bilan, la plus-value relève entièrement du régime des plus-values professionnelles. Si les terres figurent dans le patrimoine privé de l’exploitant, le prix de cession est ventilé entre les terres et les bâtiments ou plantations. Les plus-values liées à la cession des terres relèvent du régime des plus-values des particuliers, tandis que la cession des bâtiments ou des plantations relève du régime des plus-values professionnelles. Par ailleurs, la dualité de régimes d’imposition est énoncée dans l’acte au titre des déclarations fiscales.

Dualité de régimes d’imposition et ventilation du prix des terres et des bâtiments

Paul-Henri, producteur d’huile d’olive à Mougins, achète deux hectares de terre pour un prix de 10 000 € en 2008. Ces terres ne sont pas inscrites au bilan. La même année, il construit un hangar d’une valeur de 150 000 €. L’amortissement du hangar est prévu en linéaire sur vingt ans. En 2018, Paul-Henri cède l’ensemble moyennant un prix de cession de 200 000 €. Après dix années d’amortissement du hangar, la valeur nette comptable du hangar est de 75 000 €. Le prix de cession est ventilé de la façon suivante : 20 000 € pour les deux hectares de terre et 180 000 € pour le bâtiment.

Pour le bâtiment, il s’agit d’une plus-value professionnelle. Elle est égale à la différence entre le prix de cession et la valeur nette comptable, soit 180 000 – 75 000 = 105 000 €.

Pour le terrain, il s’agit d’une plus-value immobilière des particuliers. Elle est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’achat majoré des frais d’acquisition, soit 20 000 – (10 000 + 750) = 9 250 €.

4104 – Le cas particulier des maisons d’habitation. – L’inscription de la maison d’habitation de l’exploitant au bilan est une option159. En effet, l’inscription n’est possible que si la maison fait partie intégrante du corps de ferme et ne présente pas le caractère d’une maison de maître. En cas d’inscription, les règles d’amortissement sont les mêmes que celles des bâtiments. Pour les immeubles à usage d’habitation, les taux d’amortissement les plus couramment admis dans la pratique varient de 1 % à 2,5 % par an, soit un amortissement sur une durée de quarante ans à cent ans. Les autres charges afférentes à la maison sont déduites du revenu professionnel. Néanmoins, la valeur locative réelle est ajoutée au résultat160.

§ II – L’amortissement des bâtiments et des plantations

4105 – Rappel sur l’amortissement. – Les bâtiments et les plantations se déprécient avec le temps. Par conséquent, ils s’amortissent. En revanche, une marque viticole est un élément non amortissable par nature161.

Au plan fiscal, l’inscription des bâtiments et des plantations au bilan est plus intéressante que l’inscription des terres ou d’une marque. L’amortissement conduit en effet à minorer le résultat de l’exercice, car il constitue la traduction comptable de la dépréciation d’un bien. La plus-value est à court terme en totalité lorsque le bien cédé est détenu depuis moins de deux ans. Pour les bâtiments et les plantations détenus depuis plus de deux ans, la plus-value est également à court terme dans la limite des amortissements pratiqués. Elle est à long terme pour le surplus. La fraction de la plus-value à court terme est rajoutée au résultat de l’exercice et soumise à l’impôt au barème progressif. La fraction de la plus-value à long terme ne bénéficiant pas de l’abattement de l’article 151 septies B est soumise au taux forfaitaire de 30 %.

Distinction entre les plus-values professionnelles à court terme et à long terme

Dans l’exemple précédent, la plus-value professionnelle est de 105 000 €162. Elle à court terme à hauteur des amortissements pratiqués, soit 75 000 € et rajoutée aux résultats de l’exercice. Elle est à long terme pour le surplus, soit 30 000 € et soumise au taux forfaitaire de 30 %.

Méthode d’amortissement au Danemark : système du pool

L’amortissement « bien par bien » pratiqué en France ne constitue pas la seule méthode en Europe. Par exemple, le Danemark pratique l’amortissement en pool, c’est-à-dire globalement pour l’ensemble du matériel, et non matériel par matériel. Pour mieux comprendre le mécanisme, il convient de prendre un exemple.

Morten, exploitant danois, dispose d’une enveloppe globale d’amortissement de 500 000 €. Il acquiert un nouveau tracteur pour 250 000 € et parallèlement revend pour 75 000 € un ancien tracteur détenu depuis plus de cinq ans et acheté 200 000 €.

Dans le système français, l’achat du nouveau tracteur pour 250 000 € est amorti sur cinq ans. Il constitue une charge comptable et fiscale annuelle supplémentaire de 50 000 €. L’ancien tracteur est intégralement amorti. Ainsi, la plus-value taxable est de 75 000 €, imposable en totalité sur le résultat de l’exercice. Entre l’amortissement de 50 000 € du nouveau tracteur et la plus-value de 75 000 € liée à la vente de l’ancien, le revenu de l’exercice est augmenté de 25 000 €.

Dans le système danois, la valeur finale du pool est de 675 000 € (500 000 + 250 000 – 75 000), soit une augmentation de la base d’amortissement de 175 000 €. Le résultat de l’exercice est minoré d’un amortissement supplémentaire de 35 000 €, soit 20 % de 175 000 €. Dans ce système, le prix de vente vient minorer la valeur du pool et par conséquent la base d’amortissement. Le résultat n’est pas augmenté d’une plus-value immédiatement imposable, mais la moindre base du pool diminue la charge d’amortissement pour les années suivantes. Au final, l’impact lié à la plus-value est étalé sur plusieurs années.

Section II – Le foncier dans la société agricole

4106 Pendant longtemps, la dissociation du foncier de l’exploitation a été privilégiée. Ce postulat a été remis en cause après l’introduction de la loi « Dutreil ».

4107 – Les fondements fiscaux du bail à long terme. – Les biens loués par des baux à long terme bénéficient d’un régime de droits de mutation à titre gratuit favorable institué en contrepartie de la durée de leur immobilisation163. Initialement, cet avantage n’avait pas lieu d’être pour l’ayant droit si celui-ci était le preneur à bail, considérant que cette contrainte disparaissait. Puis, pour assurer la conservation des terres dans les patrimoines familiaux, l’héritier ou donataire preneur à bail a lui aussi bénéficié de l’exonération. Cependant, il est exigé que la location ait été consentie depuis au moins deux ans à ce dernier, à son conjoint, à l’un de ses descendants ou à une société contrôlée par une ou plusieurs de ces personnes (CGI, art. 793 bis, al. 4). En raison de l’importance du poids du foncier dans l’exploitation agricole, le législateur, trente ans avant la loi « Dutreil », a ainsi donné à l’agriculteur les outils pour faciliter une transmission à titre gratuit et pérenniser l’entreprise agricole.

4108 – Dissocier le foncier de l’exploitation. – Ce régime d’exonération partielle conditionné à l’existence d’un bail à long terme a des conséquences sur la place du foncier en société. La formule classique consiste à dissocier le foncier d’un côté, l’exploitation en société de l’autre, avec un bail à long terme au milieu. Pour éviter l’indivision sur le foncier, les parcelles sont le plus souvent apportées à un GFA.

Ce schéma permet :

d’allotir les enfants ne participant pas à l’exploitation en leur attribuant une quote-part des immeubles loués par bail rural à long terme ou des parts de GFA ;

d’assurer à l’enfant titulaire du bail une grande sécurité d’exploitation, notamment au regard de ses frères et sœurs non exploitants. Le revers de la médaille pour ces derniers étant la nécessité de faire parfois preuve d’abnégation pour accepter de rester intéressés au patrimoine foncier familial, compte tenu de sa rentabilité généralement faible ;

de mettre le patrimoine immobilier à l’abri des risques de l’exploitation ;

de minorer le revenu d’origine agricole et ainsi l’assiette des cotisations sociales ;

de bénéficier du régime de faveur de l’article 793 du Code général des impôts en cas de transmission à titre gratuit ;

et de réduire l’IFI pour les enfants non exploitants164.

4109 – Pacte « Dutreil » : la nécessité d’une entité unique. – La loi « Dutreil » permet une exonération des droits de mutation à titre gratuit de 75 % sans plafonnement lors de la transmission des parts de l’entreprise, que cette dernière soit individuelle ou en société, à l’IR ou à l’IS (CGI, art. 787 B et 787 C). L’importance du gain fiscal offert par ce régime de faveur a fait naître de nouvelles stratégies familiales autour du financement de l’exploitation. Ainsi, il n’est plus question de dissociation du foncier et de l’activité, les terres détenues dans une société bénéficiant d’un abattement de 75 % sans limite de valeur, conduisant à repenser sa place dans l’exploitation. Ce nouveau schéma a pour conséquence de modifier la façon d’allotir les enfants dans le cadre des transmissions. Pour y parvenir, la structure sociale à mettre en place doit être une EARL, une SCEA ou encore une société de capitaux, permettant d’accueillir des associés non exploitants. Ces derniers ne sont plus rémunérés en fermages mais par la perception de bénéfices sociaux, leur régime d’imposition passant de celui des revenus fonciers à celui des revenus de capitaux mobiliers. Les enfants non exploitants participant au bénéfice de la société sont ainsi mieux traités que ceux devant se contenter du revenu d’une terre perçu directement ou à travers un GFA. Cette nouvelle redistribution des cartes permet de transmettre le patrimoine d’exploitation de manière plus favorable pour les enfants non repreneurs, mais modifie dans le même temps en profondeur la place de l’enfant exploitant. Dans ces nouveaux schémas de transmission, le capital social de la société agricole n’est plus seulement porté par les exploitants, mais partagé entre des membres non actifs dans l’exploitation et les exploitants165. La fiscalité allégée du régime Dutreil ne doit pas cacher les particularités des sociétés civiles agricoles. La transmission à titre gratuit des parts sociales ne purge pas les plus-values.

4110 – La transmission à titre gratuit des parts et le régime de l’article 151 nonies II du Code général des impôts. – Sauf à pouvoir se prévaloir de l’un des régimes d’exonération des plus-values166, la transmission à titre gratuit est susceptible d’engendrer une plus-value. Cependant, même si celle-ci doit être imposée à cette occasion, son exigibilité est reportée sur option des donataires à la date à laquelle ceux-ci céderont leurs droits (CGI, art. 151 nonies II). Cette plus-value placée en report d’imposition est définitivement exonérée si les conditions énoncées à l’article 151 nonies IV sont réunies167. L’un des descendants ou donataires doit participer à l’exploitation, c’est-à-dire exercer son activité professionnelle dans la société (CGI, art 151-I nonies) dont tous les donataires doivent conserver les parts pendant cinq ans. Toutes les conditions étant remplies, l’exonération s’applique à l’ensemble des parts sociales transmises, que celles-ci soient détenues par un associé exploitant ou non exploitant. La combinaison des dispositions du pacte Dutreil, associées à celles de l’article 151 nonies du Code général des impôts dont le bénéfice s’étend à l’ensemble des enfants qu’ils soient ou non exploitants, favorise l’émergence de nouveaux schémas de transmission.

4111 – De nouveaux schémas de portage du capital d’exploitation. – Le portage peut s’opérer par une participation directe des enfants non exploitants dans le capital de la société d’exploitation. Cependant, leur présence est susceptible d’entraîner des tensions avec l’enfant repreneur. En effet, les premiers souhaitent en général la distribution du résultat, alors que les seconds cherchent à pérenniser et développer l’entreprise par une politique d’investissement. Dans le cas où l’enfant exploitant ne détient pas le contrôle, la situation peut même s’avérer catastrophique. Pour y remédier, il est judicieux d’adjoindre à la première structure une holding de détention. Cela suppose que la société d’exploitation soit constituée sous forme de SCEA, seule société civile agricole pouvant compter parmi ses associés des personnes morales.

En étant majoritaire dans la société holding elle-même, l’enfant exploitant conserve le contrôle de la structure d’exploitation sans détenir la majorité des titres168. En outre, si la transmission s’accompagne d’une soulte, la holding lui permet de diminuer son effort en dissociant la finance du pouvoir. Cependant, la SCEA étant soumise à l’impôt sur le revenu, l’effet de levier fiscal bien connu de la holding est inexistant. A contrario, dans le cadre d’une société IS, l’apport par l’enfant repreneur de titres avec soulte attachée à une holding à l’IS lui permet d’échapper à l’impôt de distribution des dividendes. Selon que le montage holding relève du régime dit « mère-fille » (CGI, art. 145) ou de l’intégration fiscale (CGI, art. 223 A), la fiscalité de la distribution par la société cible est quasiment ou totalement effacée.


128) BOI-BIC-PVMV-40-10-10-10.
129) BOI-BIC-PVMV-40-10-10-10, § 60 et s.
130) BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20.
131) BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20, § 150.
132) BOI-BIC-PVMV-40-10-10-20, § 90.
133) Sauf si les conditions d’exonération sont remplies.
134) BOI-BIC-PVMV-40-10-10-30.
135) J. Molinier, Réforme de la TVA immobilière nouvelle approche : JCP N 2010, n° 19, 1197.
136) S. de Fontaine, Cessions de foncier réalisées par des exploitants agricoles et TVA : précisions sur quelques imprécisions : RD rur. 2012, n° 400.
137) Rép. min. n° 12909, Juilhard : JO Sénat Q 4 nov. 2010, p. 2894.
138) J.-P. Garçon, À quelles conditions un agriculteur réalisant un lotissement peut-il être assujetti à la TVA ? : JCP N 2012, n° 51-52, 1415.
139) BOI-TVA-IMM-10-10-10-20.
140) Avant la réforme, les terrains à bâtir s’entendaient de terrains nus ou recouverts de bâtiments destinés à être démolis, acquis en vue d’y édifier des constructions qui donnaient lieu au paiement de la TVA immobilière (Rép. min. n° 70591, Grand : JOAN Q 25 oct. 2005, p. 9985).
141) A. Arnaud-Emery, La TVA appliquée aux opérations immobilières des agriculteurs : RD rur. 2016, n° 448.
142) Modification apportée par la loi de finances pour 2018 : en vue d’être en cohérence avec le prélèvement forfaitaire unique, le taux de 16 % est ramené à 12,8 %.
143) A. Arnaud-Emery, Le manuel de l’exonération pour le parfait petit exploitant agricole cédant ses terres : JCP N 2007, n° 27, 1210.
144) BOI 5 E-3-06, n° 27. – CE, 17 mai 1991, n° 68211.
145) L’exploitant omettant d’inscrire à l’actif un bien dont l’inscription est obligatoire peut demander la rectification de cette erreur comptable devant le juge de l’impôt : CE, 15 déc. 1982, n° 25106. – CAA Bordeaux, 11 juin 1996, n° 94-1544. – CE, 1er déc. 1999, n° 18861.
146) BOI-BA-BASE-20-10-20.
147) CGI, ann. III, anc. art. 38 sexdecies GA.
148) BOI-BA-BASE-15-20-20.
149) J. Prieur et D. Coiffard, Le patrimoine professionnel affecté : l’EIRL : JCP N 2010, n° 51-52, 1390.
150) CGI, ann. II, art. 74 SG I. – BOI-RFPI-PVI-10-20-20, § 130 et s.
151) CGI, art. 257, I, 2, 1° : « Sont considérés comme terrains à bâtir, les terrains sur lesquels des constructions peuvent être autorisées en application d’un plan local d’urbanisme, d’un autre document d’urbanisme en tenant lieu, d’une carte communale ou de l’article L. 111-1-2 du Code de l’urbanisme ».
152) BOI-RFPI-PVI-10-20-20, § 180 et s.
153) BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40.
154) Rapport du 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 2014, n° 3407.
155) M.-P. Madignier, La location à soi-même d’immeubles agricoles : Dr. fisc. 1994, n° 20, 100026.
156) Rapport sur la fiscalité agricole, Rapp. AN n° 2722, F. André, 15 avr. 2015.
157) CE, 8e et 3e ss-sect., 26 sept. 2011, n° 340246, Min. c/ Blestel : JurisData n° 2011-020783. Le BOFIP n’est toujours pas à jour pour la location à soi-même en BA : BOI-RFPI-CHAMP-10-30-20.
158) J.-J. Lubin, Location à soi-même et bénéfices agricoles : RFP 2011, n° 11.
159) BOI-BA-BASE-20-10-20, § 180. – BOI-BA-BASE-20-30-30-20, § 40.
160) La valeur locative réelle correspond au loyer qui serait demandé à un locataire pour la location de cette maison.
161) CE, 9e et 10e ch., 2 nov. 2011, n° 340969 : RJF 2012, n° 6 ; BDCF 1/2012, n° 3, concl. D. Hédary. – CE, 9e et 10e ch., 5 oct. 2016, n° 384475, Sté MJ France : JurisData n° 2016-020579. – P. Fumenier et A. Laumonier, Valorisation d’une marque viticole acquise : RD rur. 2016, n° 448, 302.
162) V. n° a4103.
163) V. nos a4028 et s.
164) V. nos a4028 et s.
165) Besoin de portage du foncier par des capitaux extérieurs : approche par enquête terrain et appariement du cadastre et du registre parcellaire graphique, FNSAFER, déc. 2015.
166) Lié au montant des recettes (CGI, art. 151 septies), à la valeur des parts transmises (CGI, art. 238 quindecies) ou à l’abattement pour durée de détention pour les immeubles (CGI, art. 151 septies B).
167) L’exonération définitive de la plus-value en report est réservée aux transmissions en pleine propriété (CGI, art. 151 nonies II).
168) M. Hollander, Les intérêts de la holding professionnelle : Actes prat. strat. patrimoniale juill.-août 2013.

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