CGV – CGU

Chapitre I – La création de véritables entreprises agricoles

Partie II – L’exploitation du territoire agricole
Titre 2 – L’accompagnement des exploitations agricoles vers demain
Sous-titre 2 – La libéralisation de l’entreprise agricole de demain
Chapitre I – La création de véritables entreprises agricoles

1708 L’agriculture française vit dans un régime administré. Le début de l’activité et son développement sont soumis au contrôle des pouvoirs publics. Les propriétaires fonciers et les exploitants sont tenus au respect d’une réglementation contraignante dans leurs rapports locatifs. La SAFER contrôle les mutations. Au surplus, l’Union européenne et la France orientent les exploitations en ciblant leurs subventions. Dans ce cadre extrêmement régulé, l’émergence de véritables entreprises n’est pas aisée. Or, le marché agricole étant désormais mondialisé, les exploitants sont moins protégés par ces mécanismes. Les enjeux environnementaux et les exigences croissantes des consommateurs impliquent également une vision entrepreneuriale de l’exploitation agricole. Afin de répondre à ces défis, il convient de renforcer les entreprises agricoles (Section I). La montée en puissance de la prestation de services en agriculture participe également à cette évolution (Section II).

Section I – Le renforcement de l’entreprise agricole

1709 – De la ferme à l’entreprise agricole. – Au sens général, l’entreprise est une affaire agricole, commerciale ou industrielle, dirigée par une personne morale ou physique privée produisant des biens ou services destinés à la consommation952. Elle forme une unité économique organisée de production du secteur marchand, ayant pour vocation de produire des biens et des services en réalisant du profit953. C’est également une entité cessible, existant au-delà de ses exploitants. Il s’agit finalement d’une définition relativement éloignée de la vision historique de la ferme familiale, dotée d’une organisation limitée, transmissible uniquement dans la famille et réalisant des profits souvent aléatoires954. Malgré tout, en ce début de 21e siècle, la plupart des exploitants agricoles ont la volonté de transformer leurs fermes en véritables entreprises.

1710 Parler d’entreprise agricole implique de confronter des situations très diverses. En effet, au-delà de la maîtrise d’un cycle biologique (C. rur. pêche marit., art. L. 311-1), il y a peu de points communs entre une exploitation de permaculture maraîchère, une production céréalière en monoculture, un élevage hors-sol et une installation fromagère de montagne. Néanmoins, chaque exploitation a ses forces et ses faiblesses. Il convient de les appréhender dans le cadre d’un projet d’entreprise, susceptible d’être réalisé individuellement (Sous-section I) ou collectivement, autour du regroupement de plusieurs exploitants (Sous-section II).

Sous-section I – L’entreprise agricole individuelle

1711 – Une réalité résultant d’un choix politique historique. – Depuis 1960, le législateur à constamment réaffirmé sa préférence pour les exploitations individuelles. L’objectif était de maintenir un nombre important d’actifs agricoles, répartis sur l’ensemble du territoire, chacun dirigeant sa propre exploitation et assurant seul sa subsistance. En 1955, on dénombrait 2 300 000 exploitations955. Aujourd’hui, il n’en subsiste plus qu’environ 400 000, dont 65 % sont individuelles956mais ne représentent que 38 % de la surface exploitée957. La plupart ne constituent pas de véritables entreprises, au sens économique du terme. Pour le devenir, le fonds agricole est un outil indispensable (§ I). Mais il convient également d’appréhender à ce titre les apports de la création récente d’un registre des actifs agricoles (§ II). Attendu comme le pendant agricole du registre du commerce, il a vocation à identifier les entreprises agricoles, en les distinguant des exploitations non professionnelles.

§ I – Le fonds agricole

1712 – Une création récente. – Le fonds agricole a été créé en 2006, avec l’objectif de faire évoluer le statut de l’exploitation agricole traditionnelle vers celui d’entreprise agricole et de permettre de regrouper, dans une même unité économique, l’ensemble des facteurs de production liés à l’activité agricole, qu’ils soient corporels ou incorporels958. Pourtant, entre 2006 et 2014, seuls 964 fonds agricoles, dont 30 % en production équine, ont été déclarés aux centres de formalités des entreprises (CFE) des chambres d’agriculture959.

1713 Un rappel du régime juridique du fonds agricole (A) permet de mettre en lumière son utilité pour l’entreprise agricole de demain (B).

A/ Le régime juridique du fonds agricole

1714 Dans le cadre du développement de l’entreprise agricole, il convient de rappeler la nature (I), la composition (II) et le caractère optionnel (III) du fonds agricole960.

I/ La nature du fonds agricole

1715 – Une universalité reconnue juridiquement. – Le fonds agricole a pour vocation de devenir l’équivalent du fonds de commerce pour les entreprises agricoles. Il s’agit d’une entité regroupant l’ensemble des éléments affectés par l’exploitant à l’exercice de son activité, valorisable et transmissible. Ce capital d’exploitation forme ainsi une universalité de fait reconnue par la loi (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3), sans toutefois bénéficier d’une définition légale.

1716 – La nature civile du fonds agricole. – Le renvoi à la définition de l’activité agricole, autorisant la création du fonds agricole, lui confère nécessairement un caractère civil (C. rur. pêche marit., art. L. 311-1, al. 2). Cela risque toutefois d’engendrer des difficultés en raison des incertitudes entourant la notion d’activité agricole, spécialement en cas de diversification des activités.

II/ La composition du fonds agricole

1717 – Les éléments inclus. – Le fonds agricole étant une universalité juridique, il convient d’en préciser la composition (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 3), en distinguant :

1. les éléments corporels :

le bétail (cheptel vif),

le matériel agricole (cheptel mort),

les stocks traditionnels (récoltes non encore vendues, semences et engrais, aliments pour le bétail, produits phytosanitaires, etc.), ainsi que les récoltes sur pieds et les fruits non cueillis ;

les éléments incorporels :

les contrats cessibles servant à l’exploitation du fonds : les baux cessibles hors du cadre familial, les contrats de production (tels que les contrats d’intégration : C. rur. pêche marit., art. L. 326-1 et s.), les contrats de livraison (au travers des parts de sociétés coopératives agricoles : C. rur. pêche marit., art. L. 521-1 et s.), les contrats d’épandage, et l’ensemble des contrats de commercialisation, à condition qu’ils ne soient pas strictement intuitu personae,

les droits incorporels cessibles servant à l’exploitation du fonds : il s’agit des droits à paiement de base,

l’enseigne de l’exploitation, permettant d’identifier géographiquement l’exploitation par un signe extérieur apposé sur un immeuble et se rapportant à l’activité développée,

le nom d’exploitation (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 3)961 : il s’agit de la dénomination sous laquelle l’agriculteur désigne le fonds ou l’entreprise exploitée pour l’identifier dans ses rapports avec la clientèle,

les dénominations962,

la clientèle (sans référence à l’achalandage) : elle reste très limitée dans le monde agricole, à l’exception de certaines formes d’agriculture spécialisée, notamment en matière vitivinicole963,

les brevets et autres droits de propriété industrielle : il s’agit notamment des certificats d’obtention végétale.

1718 – Les éléments exclus. – Un certain nombre d’éléments sont exclus de la composition du fonds agricole :

1. concernant les éléments corporels : les immeubles par nature ou par destination ;

2. concernant les éléments incorporels :

les contrats ne servant pas à l’exploitation du fonds,

les contrats servant à l’exploitation du fonds, mais incessibles : tous les contrats conclus intuitu personae ainsi que les baux ruraux soumis au statut du fermage et du métayage, y compris les améliorations culturales,

les droits incorporels servant à l’exploitation du fonds, mais incessibles : il s’agit principalement des droits à produire et à commercialiser,

les marques viticoles et appellations d’origine contrôlée : elles sont attachées à la terre964et subissent la conséquence de l’exclusion des immeubles de la composition du fonds agricole. S’agissant des AOC, elles constituent en outre une propriété collective.

III/ La création optionnelle du fonds

1719 – La décision de création de l’exploitant. – La création d’un fonds agricole résulte d’une décision discrétionnaire de l’exploitant, relevant de sa seule initiative. Il lui revient ainsi d’évaluer l’opportunité de regrouper les éléments de son exploitation au sein d’un fonds agricole.

1720 – Les formalités de création. – La création d’un fonds agricole nécessite le respect de formalités (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 1 et art. D. 311-3 et s.) :

1. la décision de création fait obligatoirement l’objet d’une déclaration au centre de formalités des entreprises (CFE) de la chambre d’agriculture du département du siège de l’exploitation ;

2. la déclaration comporte :

les nom, prénoms et adresse du déclarant pour les personnes physiques, la dénomination ou la raison sociale pour les personnes morales,

la forme juridique et le siège de l’entreprise, ainsi que son numéro d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés avec le nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée,

le numéro unique d’identification de l’établissement auquel le fonds est rattaché, ainsi que l’adresse du lieu d’exploitation du fonds,

et, le cas échéant, les références de déclarations de fonds agricole effectuées par le déclarant au titre d’autres établissements.

Le déclarant n’est pas tenu d’indiquer la composition du fonds agricole créé ;

le CFE délivre un récépissé de la déclaration de fonds agricole, reproduisant les mentions de la déclaration (C. rur. pêche marit., art. D. 311-5, al. 1). Ce document tient lieu de preuve de la création du fonds agricole par l’exploitant. Il n’est délivré qu’à l’exploitant et ses ayants droit, posant un problème de visibilité de ces fonds pour les tiers n’y ayant pas accès ;

les modifications des éléments déclarés du fonds font l’objet des mêmes formalités.

1721 – Les formalités de radiation. – En cas de cessation totale de l’activité agricole du titulaire du fonds, sa radiation est effectuée auprès de la chambre d’agriculture. Celle-ci peut également, après une mise en demeure adressée au titulaire restée sans réponse pendant trois mois, procéder d’office à la radiation de l’inscription (C. rur. pêche marit., art. D. 311-7).

B/ L’utilité du fonds agricole pour l’agriculture de demain

1722 – Une véritable opportunité. – La création d’un fonds agricole est une véritable opportunité pour l’exploitant de basculer vers l’entreprise en cumulant plusieurs avantages :

1. la distinction entre patrimoine privé et professionnel, donnant à l’exploitation individuelle une véritable structure juridique alternative à la mise en société ou l’adoption du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ;

2. le bénéfice d’un instrument de crédit, le nantissement de ce fonds constituant un gage sans dépossession permettant d’apporter une garantie aux créanciers de l’exploitation (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3, al. 2) ;

3. la transmission facilitée de l’exploitation, l’identification complète d’une entreprise permettant au repreneur de mieux l’appréhender et la valoriser.

1723 – Les difficultés à surmonter. – Le fonds agricole n’a pas connu le succès escompté. Il se heurte principalement à deux difficultés liées à sa cession :

1. hors cadre familial : l’accès à la jouissance du foncier étant stratégique pour l’exploitation, il est indispensable que le fonds comprenne les baux permettant la réalisation de l’activité965. En effet, face à l’accroissement du nombre de repreneurs non issus du cercle familial, l’absence quasi généralisée de baux cessibles hors cadre familial rend la cession du fonds agricole impossible ou en limite trop le périmètre pour la rendre attractive. Or, la conclusion de baux cessibles permet une meilleure valorisation de l’entreprise cédée. Enfin, dans l’hypothèse où de tels baux seraient signés, le coût du pas-de-porte et la possible majoration du fermage l’accompagnant risquent d’augmenter le coût de l’installation ou de la reprise ;

2. intrafamiliale : la nécessité d’accéder au foncier n’est alors plus un problème, y compris lorsque les baux signés sont soumis au statut du fermage. Toutefois, l’existence d’un fonds agricole met en lumière la valeur de l’entreprise, augmentant ainsi son coût de transmission.

§ II – Le registre des actifs agricoles

1724 Alors que les activités agricoles sont ancestrales, leur définition légale a été donnée seulement en 1988, à une époque où le déclin de l’agriculture traditionnelle française était déjà constaté966. La suite administrative consistait en la création d’un registre de l’agriculture n’ayant jamais vu le jour967. Finalement, la loi d’avenir de 2014968a donné naissance à un registre des actifs agricoles (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2)969 .

Les registres agricoles avant la LAAF

Avant la création du registre des actifs agricoles, il existait deux registres en lien avec l’agriculture :

1. le registre des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL) exerçant une activité agricole : la déclaration d’affectation (C. com., art. L. 526-7) est déposée auprès de la chambre d’agriculture du département du siège de l’exploitation (C. rur. pêche marit., art. R. 311-1) pour être inscrite sur un registre (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2) ;

2. le registre des fonds agricoles : la création d’un fonds agricole (C. rur. pêche marit., art. L. 311-3) est déclarée auprès du CFE de la chambre d’agriculture compétente en vue de son inscription sur un registre spécifique (C. rur. pêche marit., art. D. 311-3 et s.)970.

Suite à la création du registre des actifs agricoles :

le registre des EIRL subsiste et devrait y être rattaché971 ;

le registre des fonds agricoles continue d’avoir une existence autonome.

La dimension du registre des actifs agricoles ne peut être appréhendée qu’au regard de son champ d’application (A) et de sa mise en œuvre (B). Le constat final est celui d’un projet inabouti (C).

A/ Le champ d’application du registre

1725 – Des inscriptions restreintes. – L’inscription sur le registre des actifs agricoles est réservée aux personnes physiques réunissant trois conditions (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2) :

1. être chef d’exploitation, ce qui exclut les chefs d’entreprise de travaux agricoles ou forestiers ;

2. exercer une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime, les activités marines et forestières étant exclues ;

3. être redevable du régime :

des non-salariés agricoles redevables de la cotisation Atexa (C. rur. pêche marit., art. L. 752-1)972 : il s’agit principalement des non-salariés agricoles affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA), des cotisants de solidarité exploitant au moins le quart de la superficie minimum d’assujettissement, et des pluriactifs affiliés au RSI,

des salariés relevant de la MSA et détenant la majorité du capital d’une société (C. rur. pêche marit., art. L. 722-20, 8° ou 9°) : il s’agit des gérants, des présidents-directeurs généraux et directeurs généraux (SA), et des présidents ou dirigeants (SAS).

B/ La mise en œuvre du registre

1726 La mise en œuvre du registre implique d’organiser sa tenue (I), permettant de lui donner une certaine utilité (II).

I/ La tenue du registre

1727 – Un travail collectif. – Le registre des actifs agricoles est alimenté automatiquement par les données de la MSA et des centres de formalités des entreprises des chambres d’agriculture. Les données collectées sont administrées par l’assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA). Elle centralise le registre, le transmet à l’autorité administrative (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 5) et établit un rapport annuel sur son contenu (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 9).

1728 – Fonctionnement du registre. – Le décret d’application fixe les modalités de fonctionnement du registre en précisant :

1. les informations collectées sur les exploitants individuels ou en société et l’exploitation ;

2. les modalités d’échanges de données entre la MSA, les CFE et l’APCA ;

3. les conditions de mise à jour du registre, notamment de radiation des inscrits ;

4. les conditions de transmission des données du registre, y compris le coût de délivrance des documents.

1729 – Entrée en vigueur du registre. – Le registre des actifs agricoles entre en vigueur le 1er juillet 2018.

II/ L’utilité du registre

1730 – Attestation d’inscription. – Les chambres d’agriculture sont tenues de délivrer gratuitement, sur demande de la personne inscrite, une attestation d’inscription sur le registre (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 7). Ce document a vocation à servir de carte d’identité professionnelle.

1731 – Droit aux aides publiques. – Le bénéfice de certaines aides publiques peut désormais être limité aux personnes inscrites sur le registre (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2, al. 6). Cette limitation des bénéficiaires est toutefois conditionnée à la parution d’un décret en Conseil d’État.

C/ Un regard critique sur le registre

1732 – Un projet inabouti. – Ce registre a été créé comme une fin en soi, sans concevoir à l’avance son utilisation. Ainsi, son utilité est doublement limitée :

1. il est à la fois peu sélectif973et incomplet974, ce qui ne lui permet pas de jouer un rôle statistique utile ;

2. il n’a aujourd’hui aucune conséquence concrète pour les inscrits975, dans l’attente d’un hypothétique décret limitant l’attribution de certaines aides.

1733 – Les rendez-vous manqués. – La création d’un tel registre était l’opportunité de se doter d’un outil jouant un rôle significatif à plusieurs niveaux :

1. constituer un registre de l’agriculture976permettant de connaître l’ensemble du monde agricole sans exceptions977, mais également de distinguer les agriculteurs professionnels et ceux ne l’étant pas978 ;

2. permettre son utilisation au-delà du simple cadre statistique et des aides, notamment pour :

définir les obligations et les droits sociaux ou fiscaux des inscrits (régime MSA notamment),

l’application du contrôle des structures, l’agriculteur professionnel pouvant bénéficier de certaines exemptions de contrôle,

les rapports avec la SAFER, son intervention pouvant varier en fonction du statut de l’exploitant,

l’application de certaines règles d’urbanisme (construction des installations agricoles ou d’habitation),

les emplacements sur les marchés (possibilité de bénéficier d’un emplacement prioritaire selon son statut).

Il s’agit finalement d’un projet inabouti, ayant manqué plusieurs rendez-vous stratégiques pour le monde agricole. Ainsi, un registre plus complet doté d’effets juridiques élargis aurait donné du sens à sa création. Il constitue néanmoins une première pierre sur laquelle un édifice législatif pourra se construire. En réalité, sa réussite dépend surtout de la capacité du législateur à donner une définition de l’agriculteur professionnel, utilisable dans l’ensemble des législations concernées979.

Sous-section II – L’entreprise agricole collective

1734 Les compétences nécessaires à la réalisation d’un projet d’entreprise agricole sont nombreuses et variées : agronomiques, environnementales, techniques, commerciales, administratives, financières, etc. S’il est difficile pour un même exploitant de les cumuler toutes, il est en revanche aisé de regrouper plusieurs agriculteurs spécialisés au sein d’une entreprise collective. Ce regroupement est réalisable au sein de structures sociétaires (§ I), mais il existe également des modes alternatifs d’exploitation collective (§ II).

§ I – Les sociétés d’exploitation

1735 La forme sociétaire est la solution la plus évidente d’organisation de l’entreprise agricole collective. Afin de tenir compte des particularités du monde agricole, des sociétés spécifiques existent (A). Néanmoins, les exploitants ont également la faculté de s’appuyer sur les sociétés commerciales classiques (B). Ainsi, il convient d’exposer les critères juridiques permettant de guider les agriculteurs dans leur choix (C).

A/ Les sociétés spécifiquement agricoles

1736 – Caractéristiques juridiques comparées. – Il existe trois sociétés spécifiquement dédiées à l’activité agricole. Leurs principales caractéristiques sont rappelées dans un tableau synoptique.


1737 – Les difficultés liées au caractère civil de l’activité. – Ces sociétés sont toutes civiles, compte tenu de leur objet agricole lui-même civil par détermination de la loi (C. rur. pêche marit., art. L. 311-1, al. 2). Dans le cadre d’une exploitation agricole traditionnelle, cela ne soulève aucune difficulté. Par contre, si les associés ont un projet d’entreprise incluant une diversification d’activités, il convient de s’interroger sur la possibilité de le mener à bien dans une telle structure. En effet, la réalisation d’activités entraînant un dépassement de l’objet social est susceptible d’être sanctionnée par la nullité de la société980, malgré une tolérance fiscale981.

B/ L’utilisation des sociétés commerciales en agriculture

1738 – Un choix parfois nécessaire. – Si la réalisation d’actes de commerce dans des sociétés civiles pose des difficultés juridiques, la réalisation d’une activité agricole au sein d’une société commerciale n’en soulève pas. Ainsi, il est possible de choisir les sociétés commerciales de droit commun pour la réalisation d’un projet d’entreprise agricole. Il s’agit même d’une nécessité lorsque les activités commerciales sont telles que la nature civile de l’objet social agricole est remise en cause.

1739 – Quelles sociétés ? – En pratique, les exploitants se tournent principalement vers les sociétés en nom collectif (SNC), les sociétés à responsabilité limitée (SARL) et les sociétés par actions simplifiées (SAS).

C/ Les critères juridiques du choix

1740 – Relativité des critères. – Il existe quelques critères décisifs permettant de déterminer la société à mettre en place. Par exemple, la possibilité d’accueillir des associés non exploitants offre un attrait significatif à la SCEA en présence d’investisseurs, mais ne présente aucun intérêt lorsque tous les associés sont exploitants. Des raisons fiscales, sociales et de subventions orientent également souvent le choix982. Sur le plan strictement juridique, les critères de décision les plus significatifs sont :

l’obligation d’exploiter pour les associés ;

l’obligation de choisir un gérant parmi les exploitants ;

la nécessité d’obtenir un agrément administratif ;

l’interdiction de présence de certains associés (mineurs, personnes morales) ;

la limitation de la responsabilité dans le passif social ;

la possibilité de réaliser des activités commerciales.

1741 – Une offre sociétaire suffisante. – Il existe une multitude de possibilités pour les exploitants désirant se regrouper au sein d’une société. Par ailleurs, le choix initial n’est pas figé. En effet, il est possible de transformer la société en cours de vie sociale pour tenir compte de l’évolution de l’activité. À ce jour, aucune forme particulière de société ne fait défaut. Il convient néanmoins d’être vigilant aux évolutions de l’entreprise agricole.

§ II – Les modes alternatifs d’exploitation collective

1742 À défaut de se regrouper au sein d’une structure sociétaire, les agriculteurs ont la possibilité de se rassembler autour d’un projet collectif plus limité. Il s’agit de faire un premier pas vers une exploitation mettant en commun une partie seulement de leur exploitation. À ce titre, ils ont la faculté de réunir leurs terres en procédant à un assolement en commun (A), leur matériel d’exploitation en adhérant à une coopérative d’utilisation du matériel agricole (CUMA) (B) ou encore leur force de travail sous forme d’entraide (C).

A/ L’assolement en commun

1743 – Définition et objectifs. – L’assolement en commun consiste en l’exploitation mutualisée de terres par un groupe d’agriculteurs. Il exclut expressément toute mise en commun de bâtiments. Il s’agit de partager le travail du sol pour l’optimiser et obtenir ainsi des gains de productivité983.

1744 – Constitution d’une société en participation (SEP). – L’assolement en commun s’effectue à travers une SEP régulièrement immatriculée, réunissant les personnes physiques ou morales concernées. Les statuts de la SEP fixent son objet agricole, prévoient les obligations des associés (travail, participation financière et matérielle, etc.), la répartition du bénéfice réalisé, etc.984

1745 – Formalités en cas de faire-valoir indirect. – Si l’exploitant propriétaire a la liberté de procéder à un assolement en commun de ses terres, la situation est différente lorsque les terres sont prises à bail. Le preneur est en effet tenu d’informer le propriétaire en lui remettant les statuts de la SEP, sous peine de résiliation du bail en cours. Le bailleur dispose alors d’un délai de deux mois pour s’y opposer en saisissant le tribunal paritaire des baux ruraux, son silence valant acceptation. Le preneur est seul tenu des obligations du bail dont il poursuit personnellement l’exploitation (C. rur. pêche marit., art. L. 411-39-1).

1746 – Utilité de l’assolement en commun. – L’assolement en commun est le moyen d’entrer dans une forme d’exploitation collective de manière souple et limitée985. En effet, il permet :

1. de rationaliser la gestion des équipements, du temps de travail et des intrants ;

2. d’optimiser l’occupation du territoire ;

3. de mettre une partie seulement de son activité en commun.

B/ Les coopératives d’utilisation de matériel agricole

1747 – Présentation. – Les coopératives agricoles ont pour objet de permettre aux exploitations d’améliorer leur compétitivité en mutualisant leurs moyens humains, techniques et financiers. Si elles jouent un rôle majeur dans la collecte de produits agricoles et leur première transformation, elles ont également une importance particulière pour l’exploitation. En effet, les coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) permettent la mise en commun du matériel d’exploitation. Il s’agit de sociétés coopératives dont les statuts et le règlement intérieur prévoient les modalités d’utilisation du matériel par chaque adhérent986.

Quels matériels ?

La notion de matériel agricole fait souvent référence au matériel roulant : tracteurs, remorques, moissonneuses-batteuses, élévateurs, etc. Toutefois, elle recouvre bien d’autres réalités, parmi lesquelles :

le matériel améliorant l’impact environnemental (équipement spécifique du pulvérisateur, systèmes électroniques embarqués d’enregistrement des paramètres des traitements phytosanitaires, etc.) ;

le matériel de lutte mécanique contre les adventices (bineuses, y compris leur système de guidage automatisé, herses, etc.) ;

les outils d’aide à la décision (station météorologique, thermo-hygromètre, anémomètre, etc.) ;

le matériel spécifique économe en eau (goutte à goutte, logiciel de pilotage automatisé de l’irrigation, etc.) ;

et, par extension, les ateliers de stockage du matériel agricole.

1748 – Utilité d’une CUMA. – Les CUMA présentent plusieurs intérêts significatifs dans différents domaines :

1. économique :

en facilitant les installations grâce à la mise à disposition d’un outil de production performant et limitant l’endettement,

en baissant durablement les coûts de production induits par la mutualisation des moyens,

en créant des emplois stables, non délocalisables et à plein temps,

en participant à l’économie locale par le développement des circuits courts à travers des ateliers de transformation collectifs ;

innovation :

en soutenant des projets novateurs accompagnant une agriculture compétitive, durable et de qualité,

en favorisant le développement des nouvelles technologies (agriculture de précision, agriculture numérique, etc.) ;

environnement :

en permettant la mise en place de pratiques éco-responsables (irrigation maîtrisée, désherbage mécanique, etc.),

en améliorant la performance énergétique de manière indirecte au moyen de l’utilisation en commun du matériel (maîtrise des consommations de carburant),

en accompagnant l’autonomie énergétique directe permise par des projets d’énergies renouvelables (bois-énergie, photovoltaïque, méthanisation).

C/ L’entraide

1749 – Définition et objectifs. – Derrière la notion d’entraide se cache en réalité une forme embryonnaire d’entreprise agricole collective. En effet, il s’agit d’une organisation informelle entre agriculteurs permettant de comptabiliser les échanges de temps et de matériel pratiqués à titre gratuit987. Elle s’appuie sur une réciprocité des prestations, occasionnelles, temporaires ou régulières. Le service concerne tant les travaux agricoles courants que les tâches annexes (entretien des bâtiments, du matériel, etc.). Lorsque l’entraide concerne plus de deux exploitants, une banque de travail permettant une gestion croisée du temps ou du matériel prêté est mise en place988.

1750 – Modalités pratiques. – La réussite de l’entraide repose sur sa contractualisation, consistant principalement en :

la valorisation sous forme de points au temps passé par type d’action ou au matériel utilisé ;

l’élaboration d’une grille d’entraide sur laquelle les points sont portés par l’agriculteur aidant ;

l’équilibrage régulier des comptes de travail et de prêts de matériels ;

la définition des responsabilités et des règles de fonctionnement.

1751 – Utilités et limites. – Comme tout système collectif, l’utilité de l’entraide réside dans la limitation de l’investissement en matériel, la mobilisation, l’échange et l’amélioration des compétences, ainsi que la solidarité permettant de faire face à l’isolement professionnel. En outre, son coût est pratiquement nul. Néanmoins, la mutualisation limitée et l’absence d’obligations rendent ce système instable.

1752 – Une offre d’exploitations collectives alternatives utile. – En conclusion, les organisations alternatives sont utiles aux agriculteurs souhaitant expérimenter le travail en commun sans partager le capital d’exploitation ni renoncer à la possibilité de mener des activités personnelles.

Section II – La prestation de services en agriculture

1753 La prestation de services est incluse dans la définition de l’entreprise. Cet aspect a longtemps été oublié dans les exploitations agricoles familiales. Les pouvoirs publics encourageaient en effet les schémas visant à l’exploitation personnelle par les agriculteurs de leurs propres terres (faire-valoir direct) ou des terres prises à bail (faire-valoir indirect). L’idée sous-jacente était que l’exploitation réalisée pour son propre compte favorisait l’esprit d’initiative et le souci d’une exploitation performante. Ainsi, la prestation de services apparaissait nuisible à l’exploitation à long terme du territoire agricole. Déjà constatée depuis plus de vingt ans989, sa montée en puissance est aujourd’hui une réalité concrète990. Ainsi, il convient d’en décrire le fonctionnement (Sous-section I), et d’en appréhender les intérêts (Sous-section II).

Sous-section I – Le fonctionnement de la prestation de services

1754

Un périmètre variable

Également connue sous le terme de travail à façon, la prestation de services consiste, pour un exploitant ou un propriétaire, à faire réaliser par un prestataire de services tout ou partie de ses travaux agricoles, quelle que soit leur nature991. La prestation de services agricoles correspond à deux situations pour le client :

1. le travail à façon total : le client ne s’occupe ni des cultures ni de l’administratif ;

2. le travail à façon partiel : le client décide de l’assolement et effectue la gestion administrative.

Il existe également deux types de prestataires de services :

1. l’exploitant agricole diversifiant les activités de son exploitation ;

2. et l’entreprise de prestations de services agricoles à titre exclusif.

1755 Toutes les missions effectuées dans le cadre d’un contrat de prestation de services concernent un exploitant et un prestataire de services. Il s’agit en effet d’un contrat (§ I) créant des obligations pour chacune des parties (§ II).

§ I – Une activité contractuelle : le contrat d’entreprise

1756 – Définition. – La prestation de services est un contrat d’entreprise. Moyennant rémunération, une partie réalise un travail déterminé pour le compte d’une autre partie, sans la représenter et de façon indépendante (C. civ., art. 1710 et 1787 et s.)992. Ainsi, il s’agit d’une obligation de faire à titre onéreux mise à la charge d’un entrepreneur par son client, le maître de l’ouvrage.

1757

Une activité à la frontière du statut du fermage et du métayage

1. Distinction avec le statut du fermage :

Lorsque le propriétaire fait réaliser des travaux par une entreprise de prestations de services agricoles, elle ne verse pas de loyer, mais au contraire perçoit une rémunération en contrepartie de l’exploitation.

2. Distinction avec le métayage :

Le bail à métayage est un contrat de louage d’un bien rural au profit d’un preneur moyennant le partage des charges et produits d’exploitation avec le bailleur (C. rur. pêche marit., art. L. 417-1 et s.). Lorsque la rémunération de la prestation de services est assurée par la remise d’une partie de la récolte, il est tentant d’assimiler ce contrat à un bail à métayage.

La différence est juridique : le bail rural et le métayage relèvent du louage de biens alors que la prestation de services est un louage d’ouvrage. Il convient d’être vigilant dans la rédaction des contrats pour éviter toute confusion.

1758 – Contenu du contrat. – Le contrat de prestation de services comporte :

1. son objet : la description des prestations à réaliser par l’entrepreneur ;

2. son lieu d’exécution : la désignation des parcelles cadastrales et des bâtiments concernés ;

3. sa durée : le contrat peut-être ponctuel, pluriannuel, renouvelable ou non ;

4. son prix : le montant est déterminé ou déterminable, les modalités de paiement et de révision sont fixées993 ;

5. les obligations réciproques des parties.

§ II – Les obligations des parties

1759 L’entrepreneur et son client sont tenus à des obligations générales, assorties d’une description précise des missions mises à leur charge. D’un contrat à l’autre, certaines tâches sont susceptibles d’être mises à la charge de l’un ou l’autre. Il convient de définir précisément les obligations de l’entrepreneur (A) et du client (B).

A/ Les obligations de l’entrepreneur

1760 – Obligation de moyen. – L’entrepreneur est tenu de réaliser la prestation promise en respectant les normes et usages gouvernant sa profession994. Ainsi, il s’agit d’assurer une qualité conforme aux attentes du cocontractant (C. civ., art. 1166). Par ailleurs, selon le degré d’intuitu personae prévu au contrat, son exécution peut être déléguée à des sous-traitants. Enfin, étant responsable civilement des tâches réalisées, il appartient à l’entrepreneur de s’assurer pour ce type d’activité.

Exemples pratiques d’obligations à la charge du prestataire

Intervenir avec un matériel entretenu, réglé de façon à obtenir la meilleure efficacité possible et conforme à la réglementation en vigueur.

Définir la nature et la quantité des consommables à utiliser pour l’exécution des travaux (intrants, carburant, etc.), en assurer la commande, l’approvisionnement et le stockage.

Procéder au choix de l’assolement en fonction des antécédents, de la réglementation PAC, en concertation avec l’autre partie.

Réaliser les tours de plaines selon la périodicité convenue avec le client afin d’apporter toute l’aide technique nécessaire à la conduite des cultures.

Assurer les démarches administratives liées au fonctionnement de l’exploitation (déclaration PAC, carnet de plaine, plan prévisionnel azoté, cahier d’épandage, etc.).

Fournir par écrit, à la demande du client, un état des lieux de la situation (état sanitaire et stade des cultures, façons culturales effectuées, incidents survenus, achats effectués, etc.).

B/ Les obligations du client

1761 L’obligation fondamentale du client réside dans le paiement du prix fixé. Mais il lui incombe également de coopérer en facilitant l’exécution du travail afin de respecter l’exécution de bonne foi des contrats (C. civ., art. 1104).

Exemples pratiques d’obligations à la charge du prestataire

Fournir tous les éléments et informations nécessaires au bon déroulement de la prestation.

Assurer la commande, l’approvisionnement, le stockage et le financement des consommables à utiliser pour l’exécution des travaux (intrants, carburant, etc.).

Procéder au choix de l’assolement en fonction des antécédents, de la réglementation PAC, en concertation avec l’autre partie.

Assurer les démarches administratives liées au fonctionnement de l’exploitation (déclaration PAC, carnet de plaine, plan prévisionnel azoté, cahier d’épandage, suivi de conditionnalité, démarches liées au fermage, déclaration de sinistre, etc.).

Mettre à disposition du prestataire ses bâtiments, installations de stockage, installations d’irrigation, forage, poste de remplissage du pulvérisateur, station de lavage, atelier, tout en s’assurant que ceux-ci répondent aux exigences de la réglementation (conformité des installations électriques, conformité des machines fixes).

Fournir l’eau nécessaire à l’accomplissement des travaux (remplissage du pulvérisateur, lavage, etc.).

Signaler sans délai à l’entreprise, par tous moyens, toute anomalie dans les cultures.

Sous-section II – Des intérêts mutuels

1762 La prestation de services présente des intérêts pour chacun des intervenants : le propriétaire non exploitant (§ I), l’exploitant agricole (§ II) et l’entreprise de prestation de services (§ III).

§ I – Les intérêts pour le propriétaire non exploitant

1763 – L’amélioration du rendement foncier. – La mise en place du statut du fermage et l’encadrement des loyers l’accompagnant ont rendu le rendement de la terre agricole plutôt faible995. La possibilité de faire exploiter la terre par un prestataire permet au propriétaire de bénéficier d’un revenu plus élevé qu’un fermage.

1764 – Une solution face à certaines difficultés. – Entre la pénurie d’exploitants, l’incessibilité des baux et les perspectives économiques incertaines, il est parfois difficile de transmettre une exploitation agricole. Le travail à façon constitue une solution transitoire pour l’exploitant n’ayant pas encore trouvé de repreneur. Il évite ainsi la non-exploitation des terres. Cette solution est également judicieuse en cas de problèmes de santé, ou pour les héritiers de l’exploitant décédé.

§ II – Les intérêts pour les exploitants prestataires

1765 – Une garantie d’activité stable et rentable. – Alors que les prix de vente des produits agricoles ne permettent pas toujours de réaliser un bénéfice, la prestation de services assure un revenu à l’exploitant prestataire. En effet, le contrat de prestation de services lui garantit le paiement de ses coûts de production996. Il lui confère ainsi une certaine visibilité économique.

1766 – L’optimisation du capital d’exploitation. – L’exploitant agricole prestataire de services augmente la superficie exploitée au moyen de son capital d’exploitation. Il améliore ainsi sa rentabilité, son coût étant réparti sur un chiffre d’affaires plus élevé.

1767 – Une transition vers la reprise. – Lorsque le repreneur n’est pas issu de la sphère familiale, il est souvent nécessaire de mettre en place une période de transition. Celle-ci prend parfois la forme d’une prestation de services réalisée par le candidat à la reprise. Cela permet de tisser les liens de confiance nécessaires à la signature d’un bail à son profit, mais également d’accompagner financièrement la reprise en lui donnant une visibilité économique.

Un travail à façon, deux rôles et trois stratégies

Le travail à façon offre aux exploitations agricoles trois stratégies selon leur positionnement :

1. la logique industrielle : l’adjonction d’une activité de prestations de services agricoles accompagne une recherche de productivité par la baisse des coûts et l’augmentation des volumes produits. L’entreprise devient prestataire de travail à façon ;

2. la ferme « placement-sentiment » : l’objectif est de conserver l’exploitation dans le cercle familial malgré l’absence de repreneur. L’agriculteur recourt au travail à façon ;

3. la pluriactivité : la diversification des activités assure la viabilité de l’entreprise. Selon les compétences dont elle dispose, l’entreprise est soit prestataire, soit cliente de travail à façon.

§ III – Les intérêts pour les entreprises de prestations de services

1768 – Une nouveauté dans le paysage agricole. – Jusqu’à une période récente, le travail à façon mettait essentiellement en relation deux exploitants proches géographiquement, réalisant des tâches ponctuelles au gré des besoins (problème de santé de l’exploitant, compétence particulière, équipement spécifique, etc.). Il s’agissait d’une sorte d’entraide rémunérée. Désormais, de véritables entreprises réalisent exclusivement des activités de prestations de services agricoles. Elles disposent de moyens humains, matériels et administratifs leur permettant de réaliser la totalité des tâches d’une exploitation agricole. La mise en relation de ces entreprises avec les exploitations se fait désormais par internet997.

Des risques juridiques à ne pas négliger

Ces entreprises proposent de réaliser leurs prestations pour le compte de tous les exploitants, y compris les preneurs à bail. Dans cette hypothèse, le travail à façon présente un réel danger. En effet, si le preneur à bail peut recourir au travail à façon, sans que soit constatée une sous-location prohibée, il se heurte tout de même à une difficulté : l’obligation d’exploiter personnellement le bien loué. Le non-respect de cette obligation est une cause de résiliation du bail998.

Un arrêt récent999 retient que le travail à façon total est susceptible d’entraîner la perte de la direction effective de l’exploitation. En effet, la participation effective et permanente aux travaux ne se limite pas à la direction et à la surveillance de l’exploitation. Ainsi, face à l’intérêt grandissant du monde agricole pour ces entreprises, une clarification législative est indispensable.


952) www.larousse.fr.
953) Ainsi, elle doit vendre ses produits à un prix supérieur aux coûts de production.
954) Dans de nombreuses exploitations, les revenus sont assurés en grande partie par les aides de la PAC.
955) M. Desrier, L’agriculture française depuis cinquante ans : des petites exploitations familiales aux droits à paiement unique, http://agreste.agriculture.gouv.fr, 2007.
956) Agreste, Enquête structure 2013.
957) Safer (en partenariat avec Agreste), Le prix des terres, mai 2017, L’essentiel des marchés fonciers ruraux en 2016.
958) L. n° 2006-11, 5 janv. 2006, d’orientation agricole : JO 6 janv. 2006.
959) A. Delest, Le fonds agricole peine à s’installer malgré ses avantages : www.lafranceagricole.fr, 7 déc. 2015.
960) Pour une étude détaillée du fonds agricole : E. Clerget et C. Gasselin, 105e Congrès des notaires de France, Lille, 17-20 mai 2009, Propriétés incorporelles, 2e commission : Le fonds agricole, p. 422 et s. – JCl. Notarial Formulaire,  Entreprise agricole, fasc. 50, Entreprise agricole, Fonds agricole.
961) L. n° 2010-874, 27 juill. 2010, art. 54 : JO 28 juill. 2010.
962) Elles soulèvent aujourd’hui une difficulté d’interprétation suite à l’insertion du nom d’exploitation parmi les éléments du fonds agricole, rendant cette notion de dénomination assez inutile.
963) Les exploitants sont principalement tournés vers l’activité de production et non de commercialisation de la production.
964) Cass. com., 18 janv. 1955 : JCP G 1955, II, 8555, note G. Vivez et D. Denis.
965) Le sujet est d’autant plus stratégique qu’à ce jour, près de 79 % des surfaces agricoles sont exploités en faire-valoir indirect, dont 76 % auprès de tiers : Source : Agreste, Enquête structure 2013.
966) L. n° 88-1202, 30 déc. 1988, relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son environnement économique et social : JO 31 déc. 1988.
967) La création du registre de l’agriculture était conditionnée à la parution d’un décret en Conseil d’État n’ayant jamais été pris.
968) L. n° 2014-1170, 13 oct. 2014, préc.
969) Le décret d’application date du 9 mai 2017 : D. n° 2017-916, 9 mai 2017, relatif aux modalités de tenue et de mise à jour du registre des actifs agricoles : JO 10 mai 2017.
970) V. n° a1720.
971) Le texte créant les EIRL effectuait un renvoi pour l’inscription sur un registre spécifique (C. rur. pêche marit., art. L. 311-2 ancien). Ce renvoi n’a pas été modifié par la LAAF, à l’inverse de l’article L. 311-2 créant le registre des actifs agricoles.
972) L’Atexa est une assurance à caractère obligatoire gérée par la MSA lorsque l’importance de l’activité agricole ne permet pas l’affiliation à la MSA. Elle couvre les accidents du travail et les maladies professionnelles.
973) En étant assez large dans sa définition des actifs agricoles, il ne permet pas d’établir une liste précise des agriculteurs professionnels.
974) En mettant en place des critères d’inscription, il ne permet pas d’établir une liste exhaustive du monde agricole.
975) Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, Rapp. AN n° 4328, A. Herth et G. Peiro, 20 déc. 2016, p. 68 et s. : qui constate notamment qu’il n’a « aucune incidence sur l’attribution des droits à paiement de base ».
976) C’était l’objectif envisagé par le législateur de 1988 (V. n° note 966).
977) Il serait alors possible d’y inclure le registre des EIRL et celui des fonds agricoles.
978) Ainsi, l’attestation délivrée serait porteuse de la mention « professionnel » ou « non professionnel ».
979) Civile, fiscale, sociale et communautaire.
980) J. Prieur, in Actes prat. strat. patrimoniale juill. 2008, n° 3, dossier 14, De l’intérêt de définir l’objet social.
981) V. n° a4114 et s.
982) V. n° a4112 et s.
983) B. Grimonprez, Encouragement des assolements en commun : RD rur. 2005, n° 332, comm. 61.
984) A. Cerati-Gauthier : JCl. Notarial Formulaire, Fasc. S-1610, Sociétés en participation.
985) Selon le site du ministère de l’Agriculture, l’assolement en commun permet de rendre « les exploitations viables, vivables, attractives et transmissibles » (Assolement en commun pour rendre les exploitations viables, vivables, attractives et transmissibles : http://agriculture.gouv.fr, 28 mars 2014).
986) Pour plus d’explications sur les coopératives agricoles : V. n° a1789.
987) Ce système excluant la réalisation de bénéfices, les coûts d’utilisation du matériel et les heures de travail ne peuvent pas dépasser leur coût réel.
988) Pour une présentation détaillée : Chambre d’agriculture Aquitaine, fiche n° 5, Banque de travail temps et matériel : www.pa.chambagri.fr.
989) B. Chevalier, division agriculture INSEE, Les agriculteurs recourent de plus en plus à des prestataires de services : Insee Première 10 oct. 2007, n° 1160 : « Depuis le début des années 1990, les dépenses ont progressé sensiblement pour les travaux agricoles ».
990) La prestation de services représentait 3,3 milliards d’euros, soit 5,6 % de la production hors subvention en 2006 (L’agriculture en 2006 : Insee Première 10 juill. 2007, n° 1146). Elle représentait 4,6 milliards d’euros en 2016, soit 6,6 % de la production hors subvention (L’agriculture en 2016 : Insee Première 6 juill. 2017, n° 1656).
991) B. Chevalier, préc. (V. n° note 994) : « Ce sont les plus grandes exploitations qui recourent le plus largement à ces services, et au sein des spécialisations, celle d’élevage laitier. L’entretien de certains vignobles d’appellation est entièrement sous-traité ».
992) Ce critère d’indépendance justifie l’absence de subordination permettant de distinguer le contrat d’entreprise du contrat de travail.
993) À noter que depuis la réforme du droit des obligations, si le prix n’est pas déterminé pour la prestation de services, il peut être fixé par le créancier sous contrôle du juge (C. civ., art. 1165).
994) Cass. 3e civ., 21 mai 2014, n° 13-16.855 : JurisData n° 2014-010719 : « Il appartient à l’entrepreneur, en sa qualité de professionnel, de faire des travaux conformes aux règles de l’art, d’accomplir son travail avec sérieux et de refuser d’exécuter les travaux qu’il sait inefficaces ».
995) A. Carpon relève un rendement locatif brut moyen de 3,1 % : Terre-net média : www.terre-net.fr, 28 mai 2015.
996) Il convient toutefois de déterminer précisément les coûts de production et de facturer les services avec une marge suffisante.
997) Par ex., le site Prestagri.com s’appuie sur le slogan : « Agriculteurs, trouver gratuitement un prestataire agricole n’a jamais été aussi simple avec Prestagri.com ! »
998) S. Crevel, Obligation d’exploitation personnelle : le preneur doit avoir un bon alibi ! : RD rur. 2010, comm. 116.
999) Cass. 3e civ., 24 mai 2017, n° 16-13.434, non publié au Bulletin.

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