21 Juil Chapitre II – Le portage familial
1360 L’interdépendance de la propriété agricole et de l’exploitation est étroitement liée à la mentalité de nos agriculteurs489. Cette conception familiale de l’agriculture s’oppose à la vision capitalistique des investisseurs extérieurs. Elle est encore très présente sur le territoire national, contrairement à l’évolution constatée outre-Manche par exemple490. L’attribution préférentielle en jouissance mise en place par la loi du 4 juillet 1980491constitue un outil singulier, révélateur de la volonté du législateur de favoriser le portage familial (Section I). Mais l’appropriation familiale du patrimoine foncier s’exprime surtout à travers l’utilisation des groupements fonciers agricoles (Section II).
1361 – L’attribution préférentielle en jouissance : un bail forcé492. – La loi du 4 juillet 1980 a instauré différentes variétés d’attribution préférentielle en jouissance. Alors que l’attribution préférentielle en propriété consiste à soustraire un bien aux règles ordinaires du partage pour l’attribuer à un indivisaire, ces formes d’attribution dissocient la propriété et la jouissance. L’attribution préférentielle en jouissance peut s’effectuer avec ou sans constitution d’un GFA (C. civ., art. 832-1 et 831-1). À l’extrême, le bail peut même être forcé, imposé par le tribunal aux cohéritiers (C. civ., art. 832-2)493. Cette dissociation du droit d’exploitation et du droit de propriété assure à l’agriculteur copartageant désireux de poursuivre l’exploitation la conservation du bien et la réduction des charges financières. Il bénéficie de son droit de préemption en cas de vente du bien (C. rur. pêche marit., art. L. 412-14, al. 1).
1362 – Les conditions à remplir pour en bénéficier. – L’attribution préférentielle en jouissance est une solution résiduelle, le prérequis étant l’absence d’attribution préférentielle en propriété494.
Elle porte sur tout ou partie d’une exploitation agricole constituant une unité économique.
Les conditions pour en bénéficier sont les suivantes :
être conjoint survivant ou cohéritier en pleine propriété ou en nue-propriété495 ;
avoir participé à l’exploitation agricole. Cette condition est également remplie par le conjoint du demandeur ou ses descendants496 ;
ne pas exploiter sous forme sociétaire.
À titre complémentaire, le demandeur reçoit en principe par priorité dans son lot la propriété des bâtiments d’exploitation et d’habitation.
Il s’agit d’une solution de portage de dernier recours, ne rencontrant guère de succès. En pratique, elle est souvent invoquée comme moyen de pression. Par ailleurs, n’étant pas d’ordre public, un testament peut l’écarter au détriment d’un ou plusieurs héritiers.
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Le partage des biens est subordonné à la conclusion d’un bail à long terme au profit du demandeur à l’attribution en jouissance (C. civ., art. 832-2, al. 1). Autrement dit, la conclusion du bail est un élément consubstantiel au partage497. Ainsi, il convient de régulariser les deux actes concomitamment.
1364 – Les GFA : le traditionnel schéma de portage familial. – En 1970498, les GFA ont été réinventés pour éviter le démantèlement des exploitations et permettre une décorrélation entre la détention du foncier et l’exploitation agricole499.
Les GFA sont des sociétés civiles. Deux modèles coexistent :
les GFA exploitants, dans lesquels les immeubles détenus sont exploités en direct ;
les GFA non exploitants, dans lesquels les immeubles détenus sont loués.
Les GFA familiaux sont constitués entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré. Ils permettent d’organiser la gestion d’un patrimoine foncier familial et d’en préserver l’unité. Ils ont vocation à en assurer la transmission intergénérationnelle500. S’agissant des GFA exploitant en faire-valoir direct, ils sont impérativement constitués entre personnes physiques. Les personnes morales ne sont pas admises (C. rur. pêche marit., art. L. 322-1), ce qui limite les possibilités d’investissement du groupe familial à long terme.
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Les GFA familiaux sont obligatoirement constitués par des apports en propriété d’immeubles à destination agricole, y compris les bâtiments d’habitation nécessaires à l’exploitant501 et les immeubles par destination tels que les animaux placés sur le fonds à titre d’accessoires nécessaires à l’exploitation par exemple502 (C. rur. pêche marit., art. L. 322-8).
Les apports en numéraire sont également autorisés.
Des règles spécifiques ont été mises en place afin de favoriser ce portage familial, notamment :
la limitation des apports en numéraire à 30 % du capital social (C. rur. pêche marit., art. L. 322-11) n’est pas applicable au GFA familial503 ;
le droit de préemption de la SAFER n’a pas vocation à s’appliquer aux apports immobiliers, ni aux apports effectués par un propriétaire exploitant (C. rur. pêche marit., art. L. 322-8, in fine).
1366 – Le couple GFA familiaux/bail à long terme504. – Le couple GFA familiaux/bail à long terme est une association capital/travail à faible coût financier pour l’exploitant, gommant l’inconvénient majeur de l’attribution préférentielle lié au financement de la soulte à verser aux cohéritiers. Pour permettre une stabilité juridique à l’exploitant, les terres de l’entreprise agricole familiale sont apportées à un GFA constitué entre les membres de la famille, le plus souvent sous l’autorité des père et mère, à charge pour le GFA de conclure un bail généralement à long terme à l’enfant reprenant l’exploitation, lui-même associé du groupement. Ce montage, séduisant sur le principe, présente néanmoins des inconvénients économiques pour les membres de la famille du repreneur. D’une part, il s’agit d’un patrimoine non liquide dont la valeur de vente est incertaine. D’autre part, le faible rendement économique découlant d’un fermage encadré ne leur est pas profitable. Parfois, il n’existe même aucun rendement, l’usufruit des parts étant détenu par les parents. Enfin, le passage de génération entraîne un changement de comportement des porteurs de parts, éloignés de la dynamique initiale de conservation du patrimoine familial dont ils se sentent prisonniers.
1367 – La difficulté apparente de retrait des associés des GFA familiaux. – Les GFA familiaux ou successoraux sont souvent présentés comme un carcan juridique505en raison de la difficulté d’en sortir. En effet, à défaut d’aménagements statutaires, le retrait d’un associé est soumis à l’accord unanime des autres (C. rur. pêche marit., art. L. 322-23)506. Cette difficulté peut néanmoins être anticipée dans les statuts au moyen de clauses spécifiques. Jusqu’en 2017507, par dérogation au droit commun des sociétés civiles (C. civ., art. 1869), tout retrait judiciaire était impossible (C. rur. pêche marit., art. L. 322-23). Sur le fondement de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a opéré un revirement en rendant désormais possible la demande de retrait judiciaire508. Cette faculté assouplit le fonctionnement du GFA. Il convient toutefois de remarquer que :
d’une part, la possibilité de retrait judiciaire est laissée à la libre appréciation des juges du fond et n’est ainsi pas acquise ;
d’autre part, l’article L. 322-23 du Code rural et de la pêche maritime n’a jamais empêché la programmation d’un retrait dans les statuts à des conditions plus souples que l’unanimité des associés.
1368 – Une structure adaptée au portage du foncier, pouvant être améliorée. – Le GFA est une structure adaptée pour détenir un patrimoine agricole. L’attractivité fiscale adossée au montage GFA/bail à long terme est une motivation importante509. Il constitue un outil de portage intéressant lorsque les relations entre associés sont minutieusement organisées dans les statuts. La libéralisation du montant du fermage permettrait d’offrir une rentabilité raisonnable aux associés non exploitants, sans pour autant engendrer une spéculation outrancière sur les terres agricoles.
Le GFA est une société de portage dédiée à l’agriculture. L’ouverture du capital social des GFA exploitant en faire-valoir direct aux personnes morales permettrait d’attirer des investisseurs extérieurs au monde agricole, plutôt que de recourir à la société civile immobilière (SCI). À ce titre, la prise de participation transitoire dans le capital des GFA est déjà admise pour la SAFER510. Limitée à 30 % du capital jusqu’en 2017, elle est aujourd’hui susceptible d’atteindre 100 %511.
Les SCPI et les sociétés d’assurance y sont également admises512. Dans les massifs de montagne513, les coopératives agricoles et les sociétés d’intérêt collectif sont autorisées à faire partie du groupement (C. rur. pêche marit., art. L. 322-3).
Dans toutes ces hypothèses, la prise de participation par des personnes morales oblige les GFA à donner à bail les terres dont ils sont propriétaires et un droit de préférence est accordé à l’exploitant lors de la cession des parts (C. rur. pêche marit., art. L. 322-4).
Il serait judicieux de laisser une plus grande liberté aux investisseurs, tout en imposant une exploitation agricole durable.
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